samedi 6 septembre 2025

 RÉSUMÉ

 

Ce récit émouvant relate une mission pastorale au Centre Chrétien Parole Vivante à Fada N’gourma, Burkina Faso, en décembre 2011, suivie d’une grave épreuve médicale qui a profondément marqué l’auteur. Il mêle témoignage spirituel, expérience humaine et lutte contre la maladie, illustrant la force de la foi et de la solidarité dans l’adversité.

Mission à Fada N’gourma : accueil et collaboration fraternelle

L’auteur décrit son arrivée au Centre Chrétien Parole Vivante, où il est chaleureusement accueilli par Esther et David Traoré, le couple pastoral fondateur. Ce séjour est marqué par une collaboration étroite entre leur œuvre et celle de Vie Comblée, nourrie par une forte présence du Saint-Esprit qui guide les prières, les louanges et les décisions. Cette expérience est vécue comme une véritable rencontre fraternelle et spirituelle, source d’encouragements durables pour l’auteur.

Début de la maladie et premiers signes alarmants

Alors que la mission touche à sa fin, l’auteur est soudainement frappé par une douleur intense au nombril accompagnée de fièvre et de frissons, symptômes évocateurs d’une crise de paludisme. Malgré la douleur et la fièvre, il tente de gérer la situation discrètement pour ne pas déranger ses hôtes. La nuit est difficile, marquée par une respiration douloureuse et une forte fièvre.

Prise en charge initiale et report du voyage

Au lever du jour, Esther, infirmière d’État, décide de le placer sous perfusion pour combattre le paludisme suspecté. Le départ prévu est reporté, et l’auteur reste sous surveillance médicale attentive. Malgré les soins, la douleur persiste, et la fatigue s’installe, illustrant la fragilité face aux aléas climatiques et sanitaires de la région. La patience, la foi et l’entraide deviennent les piliers de cette période d’attente.

Voyage vers Ouagadougou et assistance à l’aéroport

Après quelques jours, le voyage reprend vers Ouagadougou, accompagné de David Traoré. La fatigue est grande, et un appel à la prière est lancé auprès de proches. À l’aéroport, une assistance spéciale est accordée par Air France, permettant à l’auteur d’éviter la cohue et d’être soutenu physiquement, notamment en chaise roulante. Contre toute attente, il choisit de monter l’escalier d’embarquement à pied, manifestant une volonté de dignité malgré la maladie.

Arrivée en France et hospitalisation urgente

À Bordeaux, l’auteur est accueilli par son épouse Michelle et leur fils Samuel. La situation s’aggrave rapidement, nécessitant une hospitalisation immédiate. Malgré les procédures administratives, une infirmière intervient rapidement pour prendre en charge l’auteur, plongé dans un état de grande faiblesse, presque inconscient. Quatre jours de lutte silencieuse s’ensuivent, marqués par une présence spirituelle forte et une attente pleine d’espoir.

Diagnostic médical et combat contre une infection inconnue

Les examens médicaux écartent le paludisme actif mais révèlent une infection bactérienne inconnue qui a envahi l’organisme. Une ponction lombaire est réalisée, et l’état de santé reste critique avec fièvre et convulsions. Michelle et un cercle de priants veillent sans relâche, conjuguant science et foi dans un combat pour la vie. La chambre stérile devient un lieu symbolique de résistance et d’espérance.

Découverte d’une pathologie grave et préparation à l’opération

Une semaine après, l’auteur quitte l’hôpital temporairement mais doit revenir pour une cœlioscopie qui révèle la probabilité d’un cancer du côlon avec plusieurs polypes, dont un ulcéreux. Cette nouvelle, lourde de sens, est accueillie avec confiance et sérénité, soutenue par l’optimisme de Michelle. L’intervention chirurgicale est programmée, mais un examen d’IRM effectué en urgence révèle une complication majeure : la vésicule biliaire a éclaté, aggravant la situation.

Lutte contre la Klebsiella, dit « la tueuse »

L’analyse post-opératoire identifie une bactérie redoutable, la Klebsiella, responsable de la rupture de la vésicule. Cette infection rare, contractée probablement par contact animalier, a déclenché une grave bataille médicale. Malgré le choc, l’auteur témoigne d’une force intérieure portée par la foi, la gratitude et la présence invisible qui l’a soutenu tout au long de cette épreuve.

Expression de gratitude et foi renouvelée

Le récit s’achève par une prière de reconnaissance adressée à Dieu, exprimant la gratitude pour le soutien reçu, la force insoupçonnée, la sagesse des soignants et la présence aimante des proches. Cette prière souligne l’importance de la foi, de l’espérance et de la confiance dans la traversée des épreuves, incarnant un témoignage vibrant de résilience spirituelle.


Ce témoignage puissant illustre la complexité d’une mission spirituelle entremêlée à une lutte vitale contre la maladie, où la foi, la fraternité et la médecine s’allient pour affronter l’inconnu et la souffrance. 

 


Souvenirs de mission à Fada N’gourma

Novembre - Décembre 2011 au Centre Chrétien Parole Vivante

Novembre - Décembre 2011. Les souvenirs de cette période sont empreints de lumière et de chaleur humaine, lorsque mes pas m’ont mené au Centre Chrétien Parole Vivante, niché au cœur de Fada N’gourma, à l’Est du Burkina Faso. Le soleil africain baignait la ville de ses lueurs dorées tandis que j’approchais de la mission, le cœur plein d’attente et d’espérance.

À mon arrivée, j’ai été accueilli avec une générosité sans réserve par le couple pastoral, Esther et David TRAORÉ, âmes fondatrices de cette œuvre que nous avons vu éclore, pierre après pierre, prière après prière.

Leur sourire sincère, leur regard empreint de foi et leur hospitalité bienveillante sont toujours au rendez-vous depuis 1994. Dès notre première rencontre, je me suis senti membre d’une famille plus vaste, portée par la même vision de service et d’amour.

Notre partenariat, tissé patiemment entre l’œuvre ‘Vie Comblée’ attachée à notre ministère d’évangélisation et le ‘Centre Chrétien Parole de la Foi’ attaché au ministère d’enseignement du (feu) pasteur Claude SOLD en Alsace, s’est révélé dans sa dimension la plus concrète au sein de cette mission. 

Au fil des jours, la collaboration avec le Centre Chrétien Parole Vivante s’est enrichie de rencontres, de partages et de projets communs. Les échanges étaient nourris de respect mutuel, chacun apportant ses talents, ses histoires et sa sensibilité, dans une dynamique d’édification réciproque.

Mais plus encore, c’est l’influence active du Saint-Esprit qui a conféré à ce séjour une dimension unique et profonde. Dans chaque réunion de prière, chaque moment de louange, chaque temps de réflexion autour de la Parole, j’ai ressenti Sa présence vivifiante, guidant nos pas, inspirant nos décisions et fortifiant notre communion. Les discussions prenaient une saveur nouvelle, habitée par la conviction que nous étions appelés à œuvrer ensemble pour un but qui nous dépassait.

Cette mission à Fada N’gourma a été bien plus qu’une simple étape dans un parcours de service: elle a été une rencontre avec une communauté en marche, un témoignage vivant de la puissance de l’unité et de la foi partagée. Les souvenirs de l’hospitalité du couple TRAORÉ, la fraternité entre les œuvres et la douce mais puissante direction du Saint-Esprit continue d’accompagner mon chemin, comme une source intarissable d’encouragement et de reconnaissance.

Michelle, mon épouse, était restée à la maison pour remplir des obligations personnelles. Le séjour a suivi son cours de manière régulière jusqu’au dimanche, qui marquait la fin de ma mission. Lors de la préparation de mon départ, j’ai noté que chaque mission laisse place à de nouveaux souvenirs.

 

Le lundi matin, au lever du soleil sur Fada N’gourma, je prévoyais de prendre le bus pour Ouagadougou. Une étape était programmée chez nos amis Marceline et Marcel, offrant une transition avant le retour. Les rencontres dans leur foyer constituent toujours une occasion de faire le point sur la mission, à travers des échanges constructifs.

Enfin, mercredi soir, je devais rejoindre l’aéroport en vue du vol Air France vers Paris puis Bordeaux. Comme lors de mes précédentes missions, chaque étape se clôturait sur un sentiment d’accomplissement, tout en maintenant le lien avec l’expérience vécue.

Cependant, cette planification allait être impactée par un événement imprévu.

Le dimanche soir, après un repas léger partagé dans la convivialité et la simplicité, la douceur de la saison rendait l’atmosphère particulièrement agréable. L’heure de se coucher approchait, invitant à la quiétude avant la prochaine étape du voyage. À peine une demi-heure s’était-elle écoulée que je fus soudainement saisi par une douleur violente autour du nombril, m’obligeant à m’asseoir, crispé, au bord du lit. 

Était-ce une indigestion, simple caprice d’un estomac bousculé par les saveurs locales? Je me questionnais, tentant de démêler dans l’obscurité les raisons de ce malaise. Mais bientôt, des frissons parcoururent mon corps, signe avant-coureur d’une montée de fièvre. À mesure que la chaleur m’envahissait, le doute s’insinua : et si les symptômes du paludisme s’invitaient en cette dernière nuit à Fada N’gourma?

Je pris soin de ne pas réveiller Esther, infirmière d'État, et David, qui avaient besoin de repos. Je me rends au frigo chercher une poche d'eau consommable, mais bien glacée, me la déposant sur ma nuque, afin d'atténuer la fièvre. À peine décidai-je de me recoucher, impossible de rester allongé, ma respiration devenait douloureuse. Je passai donc ma nuit assis, transpirant, assuré d'une indigestion consécutive à une crise de paludisme.

Les heures s’étiraient, lentes et silencieuses, ponctuées seulement par le cliquetis lointain de la ville endormie et le bourdonnement de mes pensées inquiètes. Entre frissons et sueurs, je méditais sur la fragilité de nos projets, sur la façon dont un simple imprévu peut redéfinir le sens d’une mission. Malgré la fatigue, je sentais grandir une forme de gratitude : celle de savoir que, même dans la faiblesse, l’accompagnement invisible de la prière et de l’amitié demeure un roc.

À l’aube, la lumière pâle filtrait à travers les fenêtres, dessinant sur les murs des reflets d’espoir. Épuisé mais soulagé que la nuit touche à sa fin, je me préparais à informer mes hôtes, certain qu’il faudrait, avant toute chose, consulter pour écarter tout risque. À Fada N’gourma comme ailleurs, chaque mission s’écrit avec ses ombres et ses lumières, et chaque épreuve renforce l’attachement à cette terre et à celles et ceux qui la portent.

 

Le lundi matin, à six heures, la maisonnée se met en mouvement. J’informe mes précieux hôtes de mon état fébrile, et Esther, toujours attentive, décide de me placer sous perfusion pour contrer le paludisme que nous soupçonnions. L’atmosphère matinale est empreinte d’attention et de sérieux : chacun comprend que le voyage prévu ne pourra pas avoir lieu ce jour-là.

Suivant le conseil d’Esther de boire régulièrement pour me réhydrater, je m’efforce de porter l’eau à mes lèvres, même si chaque gorgée me coûte. L’appétit m’a quitté — sensation familière qui accompagne toute crise de paludisme, où le corps ne réclame rien d’autre que du repos. La décision s’impose d’elle-même : le départ sera reporté à mardi matin, laissant place à un sursis nécessaire pour retrouver un peu de force.

J’étais épuisé, la fièvre me clouant dans un fauteuil, sous la surveillance vigilante d’Esther. Le Major, infirmier en chef, fait son entrée tel un médecin rassurant ; sa visite, empreinte de compétence et d’humanité, apporte un souffle d’assurance à la maisonnée. Malgré les soins apportés, la douleur persistante autour du nombril ne faiblit pas, me rappelant la vulnérabilité des organismes face aux aléas du climat africain.

Lentement, la journée s’étire au rythme des battements de cœur et des gestes bienveillants. Enveloppé de sollicitude, je laisse passer les heures, conscient que la patience, la foi et la main secourable de l’autre sont parfois les seuls remèdes à notre portée. Ainsi se réécrit la trame du voyage, tissée de renoncements temporaires, mais aussi de la profonde reconnaissance d’être entouré, même loin de chez soi, par une famille de cœur.

 

La nuit de lundi à mardi s’étire dans la même torpeur, sans l’ombre d’une amélioration véritable. Le paludisme, fidèle à sa réputation, suit sa logique implacable, imposant son propre rythme au corps fatigué. L’aube du mardi paraît pourtant différente: une légèreté discrète, un souffle neuf, semble traverser mes membres, signe d’un possible répit. Mais la prudence domine. Préférant ménager mes forces, je renonce à tout déplacement ce jour-là.

Le vol, prévu mercredi vers 23h, oriente l’organisation de la suite. L’idée se dessine de rejoindre Ouagadougou en bus le mercredi matin, pour arriver chez Marceline et Marcel autour de 13h. Ce délai supplémentaire devient un havre de récupération, une parenthèse pour laisser l’organisme reprendre son équilibre.

Au fil des heures, les visites amicales se succèdent, chacune apportant une touche de chaleur et d’encouragement. Je prends soin de rassurer Michelle, lui décrivant les hauts et les bas des crises paludéennes, ces cycles où la fièvre et la lassitude cèdent parfois la place à un bien-être trompeur, juste assez pour redonner espoir. Mais ces sensations, je le sais, demeurent éphémères, comme des mirages au bord du désert : seules la patience et la vigilance mèneront au terme du voyage.

Ainsi, entre soins attentifs, paroles réconfortantes et attentes silencieuses, cette fin de mission à Fada N’gourma s’inscrit sous le signe de la résilience et de la profonde humanité partagée.

 

Mercredi matin, c’est décidé: les valises sont chargées dans le pickup, David, fidèle à son habitude, veille à chaque détail de notre départ et nous accompagne jusqu’au bus pour Ouagadougou. Quatre heures de route défilent, rythmées par le vrombissement du moteur et le défilement des paysages poussiéreux. Je cède à la fatigue, m’assoupissant par bribes, mais le regard attentif de David, parfois assombri par l’inquiétude, ne m’échappe pas. Sentant mes forces décliner, j’envoie un message à Michelle depuis mon portable: une demande de prière, simple et urgente, portée par la vulnérabilité du moment.

L’arrivée à Ouagadougou est à la fois un soulagement et une épreuve. David, toujours aussi efficace, hèle un taxi sans tarder pour nous conduire jusqu’à la maison de Marceline et Marcel. Là, après la fraîcheur éphémère d’une douche, mes jambes vacillent; je tente de m’étendre, espérant que la douleur s’atténue. Mais rien n’y fait: la sensation de vide dans mon estomac, la digestion suspendue, tout me rappelle que le paludisme poursuit son œuvre silencieuse, exigeant patience et abandon. Les murs protecteurs de la maison deviennent alors refuge provisoire, repaire où l’on s’accroche à la bienveillance et à l’espoir d’un lendemain plus clément.

Vers vingt heures, il est temps de se rendre à l’aéroport pour l’enregistrement. La fatigue pèse sur mes épaules alors que, accompagné de David, je franchis les portes pour l’enregistrement. Une appréhension sourde s’insinue en moi à la vue de la file unique de voyageurs qui s’amenuise lentement, comme si chaque pas vers le comptoir d’enregistrement grignotait un peu plus mes dernières forces.

Je me tourne vers David, conscient que mes jambes ne me porteront pas longtemps encore. Il partage ma préoccupation, mais m’avoue, la voix pleine de regret, qu’il ne pourra pas m’accompagner au-delà de la ligne autorisée. C’est à ce moment précis que l’impossible semble se frayer un chemin dans la réalité.

Un membre du personnel d’Air France, tout droit venu de l’enregistrement, s’approche de moi avec une étonnante détermination et m’invite à le suivre : un nouveau comptoir venait tout juste d’ouvrir ses portes. Porté par l’espérance, j’explique en quelques mots ma situation, la faiblesse qui m’accable et le besoin d’assistance. Sans détour, la réponse est immédiate. On m’installe dans une chaise roulante, et, dans un élan de bienveillance discrète, je suis conduit jusque dans la salle d’embarquement, épargné de la cohue et des attentes interminables.

À cet instant, une gratitude profonde s’élève en moi, silencieuse et lumineuse, pareille à un souffle de grâce. Ce miracle inattendu, survenu alors que tout semblait se refermer, devient le symbole d’une force qui dépasse nos propres limites. Dans la nuit ouagalaise, entre fatigue et reconnaissance, je comprends qu’il est des gestes simples qui recèlent la puissance de l’invisible et rappellent que, parfois, ce qui échappe aux humains demeure possible à Dieu.

Me proposant leur assistance pour me faire accéder dans ma chaise jusqu'à mon siège, je sens doucement revenir une énergie insoupçonnée, infime mais suffisante pour me convaincre d’un petit effort de plus. Porté par la gratitude envers ces mains attentionnées et par la volonté d’incarner, à mon tour, un geste de reconnaissance, j’esquisse un sourire, puis décline poliment leur offre. Je décide, contre toute attente et à la surprise générale, d’emprunter l’escalier d’embarquement. Chaque marche franchie devient alors une victoire sur la lassitude et la maladie, un hommage silencieux à celles et ceux qui, par leur sollicitude, m’ont permis d’arriver jusque-là.

J’imagine sans peine les pensées qui pourraient traverser les esprits autour de moi: pourquoi s’imposer cela, alors que le service est offert? Peut-être, tout simplement, par fierté, par besoin de laisser à la bienveillance reçue la place de s’accomplir jusqu’au bout, puis de reprendre à nouveau, pour soi, l’initiative du mouvement. Parce que l’on veut laisser une trace de reconnaissance, un élan de dignité retrouvée, même vacillante.

Installé enfin à ma place côté hublot pouvant reposer ma tête, ceinture bouclée, je ressens l’apaisement m’envahir. Le bruit feutré de la cabine, la lumière tamisée, tout invite au repos. Le poids de ces derniers jours se dissout dans la douceur d’un sommeil profond. Emporté par le vol de nuit, je m’endors… jusqu’à Paris.

 

L’atterrissage me réveille. Je n’ai rien consommé de mon voyage. L’assistance d’Air France me récupère à la sortie de l’avion. Je suis transporté, avec d’autres voyageurs bénéficiaires de cette assistance, jusqu’au terminal pour embarquer deux heures plus tard pour Bordeaux. L’assistant m’assure que je serai récupéré pour embarquer en priorité.

Si j’ai récupéré de l’énergie durant la première étape de mon retour, l’attente de deux heures ne sera pas plus attrayante. Cette fois je suis accompagné jusqu’à mon siège côté hublot, reposant tout de suite ma tête. Et rapidement je m’endors jusqu’à Bordeaux.

L’atterrissage à Bordeaux - Mérignac, plus brutal que d’ordinaire, me sort d’un sommeil dense, presque un abîme où même la conscience du corps s’estompe. Une gêne inattendue me fait prendre la mesure de mon épuisement: je n’ai pas senti que j’avais mouillé mon pantalon. Un frisson de honte tente de s’installer, mais la réalité, crue, impose la nécessité de l’instant. Il faut avancer. Je m’agrippe aux dossiers des sièges tout en poussant ma valise cabine, reconnaissant d’apercevoir, non loin de la porte, l’assistant avec la chaise roulante, fidèle au rendez-vous.

Porté jusqu’à la salle de récupération des bagages, je scrute la foule, le cœur battant. Et soudain, une silhouette familière: Michelle, le visage éclairé d’un sourire, et notre fils Samuel, son regard interrogateur, qui est venu avec sa voiture pour me récupérer. Un immense soulagement, une vague de chaleur, m’envahit. Tout le poids et la fatigue du voyage semblent s’effacer à la vue de ce petit groupe qui m’attend, fragile balise dans la tempête. Dans ce tumulte d’émotions, je comprends qu’au bout du périple, l’amour reste l’ancrage le plus sûr, la lumière fidèle à travers la nuit.

Michelle, sans hésiter, prend la décision: direction l’hôpital tout proche de chez Samuel. Pourtant, avant de s’y rendre, un détour nécessaire s’impose pour des besoins du quotidien chargés d’une gravité nouvelle alors que l’urgence bat son plein.

 

À l’hôpital, le ballet administratif s’impose, implacable: il faut enregistrer le patient. Michelle insiste, d’une voix où perce la tension, sur l’urgence de la situation médicale, mais rien n’y fait: l’enregistrement précède tout, la procédure avant la vie. Dans l’impuissance, Michelle se retourne vers moi; je suis là, effondré, inconscient, le corps alourdi par la fatigue et la maladie, plongé à la frontière du coma. Face à la secrétaire, elle laisse tomber, rauque, une question qui claque comme un reproche: «Vous avez gagné quoi?»

C’est alors qu’une infirmière entre dans la scène, attentive au tumulte. En un clin d’œil, elle évalue, comprend l’urgence et, sans plus attendre, me prend en charge, brisant le mur froid de la bureaucratie par un geste de soin.

Depuis ce dimanche soir, le temps s’étire, dense et silencieux, jusqu’à ce jeudi, treize heures. Quatre jours de lutte muette, entre veille et sommeil, où le corps vacille et l’esprit s’accroche à quelque chose de plus grand que lui. 

« Non, il ne somnole pas, non, il ne dort pas,celui qui garde Israël.» Psaume 121 :4

Le murmure de ce Psaume résonne dans cet espace suspendu: veiller, persévérer, croire qu’une présence veille lorsque tout vacille. La lumière se fait rare, mais elle persiste, tenace, à travers la brume des jours et l’agitation des couloirs.

 

À ce stade, j’entre entre les mains médicales. Tous ignorent que «la tueuse — la mort» me poursuit! Cerné d’écrans, de perfusions, d’agitation feutrée, je sens la présence invisible qui rôde, qui attend le faux pas. Dans ce ballet blanc et aseptisé, chacun veille à ses gestes, chaque parole se veut rassurante, mais nul ne soupçonne la course silencieuse de l’ombre qui serpente, tapie derrière chaque battement de mon cœur essoufflé.

Je perçois l’urgence dans les voix, la gravité dans les regards échangés, mais la vraie menace, intime, effleurant ma conscience embuée, reste silencieuse. C’est une lutte sans témoin, une danse haletante avec l’indicible, où chaque souffle arraché est un triomphe sur la disparition. Dans ce théâtre d’espoir et de science, je puise une force insoupçonnée, une rage de vivre qui repousse, pour un instant encore, l’étreinte glaciale de la fin.

Et là, dans le fil fragile de l’existence, entre la douleur et l’attente, je comprends soudain: même poursuivi par la mort, tant qu’une main soigne, tant qu’un regard s’attarde, le combat n’est pas vain. Dans l’ignorance de la présence de la «tueuse» qui rôde, mais tant que la lumière d’une présence humaine persiste, il demeure une place pour le miracle.

 

Michelle, refusant de céder à la lassitude ou à l’incertitude, réclame avec fermeté la procédure de «la goutte épaisse», cette analyse qui pourrait enfin lever le voile sur l’éventuelle présence du paludisme. L’équipe médicale, un peu déstabilisée par son insistance, finit par s’exécuter. Les prélèvements s’enchaînent, le sang s’étale sous le microscope, chaque cellule scrutée par des regards experts, dans l’espoir de déceler la trace du parasite.

Un spécialiste en maladies tropicales rejoint le ballet autour de mon brancard sur lequel je repose dans le box des urgences, apportant avec lui l’autorité tranquille de l’expérience. Les résultats tombent: pas de paludisme actif, seulement quelques vestiges anciens, des cicatrices invisibles d’un combat passé. Ce verdict, irréfutable, écarte une angoisse sans fermer toutes les portes à l’inquiétude. Car la cause de mon état de torpeur échappe encore à la certitude médicale.

Alors, les soignants redoublent d’efforts pour me ramener du bord du gouffre. Les voix basses autour de moi, tout le savoir de l’hôpital se concentre sur ce réveil espéré. À travers les tentatives, une énergie nouvelle circule: il ne s’agit plus seulement de lutter contre une maladie, mais de raviver la flamme vacillante d’une présence, de redonner consistance à celui qui vacille entre deux mondes. Dans l’obscurité du coma, porté par la ténacité de Michelle et la science des médecins, la possibilité du retour s’insinue, fragile mais tenace.

 

Il est vingt et une heure. Un interne vient : «Madame Gravet, nous avons réussi à ramener M. Gravet. Vous pouvez venir auprès de lui.»

Dans le box d’accueil, Michelle me rejoint, Samuel à ses côtés, porteurs d’un souffle d’espérance. Leur présence, silencieuse mais vibrante, s’ancre dans la prière: ‘Seigneur Jésus, que la gloire divine se manifeste, que le personnel médical soit guidé et soutenu dans ce temps d’incertitude.’

Les médecins, après avoir écarté le paludisme, font une découverte inattendue: une bactérie, inconnue, a franchi la barrière immunitaire, s’insinuant là où nul ne l’attendait. Le verdict tombe, sec et grave, et une ponction lombaire est aussitôt réalisée, chaque geste empreint de précaution et d’urgence.

La chambre où je suis installé devient un poste de veille, la nuit s’étire dans la fièvre et les convulsions. Sous l’œil attentif des soignants, chaque alarme est un rappel de la fragilité de l’instant. Dans la tourmente, alors que le corps lutte contre l’invisible, la volonté de vivre et la solidarité humaine se conjuguent, infusant à la nuit une force tranquille, une espérance obstinée.

Michelle veille, la prière sur les lèvres, logeant chez Samuel; elle a informé trois serviteurs qui se tiennent avec elle dans la prière. Dans ce cercle discret, la nuit s’épaissit, mais chaque pensée, chaque parole murmurée, tisse autour de moi un manteau d’intercession. À travers leurs voix unies, une onde invisible traverse la chambre, portée par l’espérance et la conviction que la lumière peut percer même les replis les plus sombres. 

Dans l’attente, entre l’effroi et le miracle, il y a cette présence fraternelle, obstinée, qui ne plie ni devant l’incertitude ni devant la fatigue: la veille se poursuit, portée par l’intime certitude que la vie se défend parfois mieux dans le secret des âmes rassemblées que dans le tumulte des machines.

 

La bactérie, pour l’instant tenue en respect, se livre à une bataille silencieuse dans l’antre feutré du laboratoire. En attendant de percer le secret de son identité, je suis installé dans une chambre stérile, espace hors du monde où l’air filtré s’apparente à une promesse de rémission. Les jours s’étirent, rythmé par les soins minutieux, les mots rares des soignants et l’immobilité presque sacrée imposée par l’attente. Pourtant, contre toute prévision, sous l’effet conjugué de la vigilance médicale et d’une vigueur retrouvée, mon corps se redresse: après une semaine, porté par cet élan vital qui défie l’adversité, je regagne la maison, le souffle allégé mais l’esprit encore traversé de questions.

Comment une bactérie, venue d’on ne sait où, a-t-elle pu semer un tel chaos? Cette énigme demeure, flottant au-dessus de moi comme une brume mal dissipée, appelant à une exploration plus profonde. 

 

Rendez-vous est pris: il me faudra revenir à l’hôpital, une semaine plus tard, pour subir une cœlioscopie sous anesthésie. La perspective de cet examen, à la fois redoutée et espérée, ouvre un nouveau chapitre d’incertitude et d’espoir; elle promet peut-être, enfin, de lever le voile sur les origines de cette tempête intérieure, d’offrir au corps et à l’esprit une réponse à la question lancinante du pourquoi. Entre deux battements, je me prépare à descendre encore une fois dans les profondeurs, là où la lumière médicale saura peut-être dissiper les dernières ombres.

Dans la lumière tamisée de la salle de réveil, je reprends lentement contact avec le monde. Un dossier, posé sur moi, attire mon attention et, attisé par cette curiosité qui s’accroche même aux abords du doute, je l’ouvre sans attendre. À l’intérieur, une photographie, accompagnée d’une annotation manuscrite : «probabilité d’un cancer du côlon avec cinq polypes dont un ulcéreux». La formule, grave, s’imprime en moi comme une sentence sans verdict. Je referme le dossier, le cœur battant, muré dans une solitude dense.

Peu après, de retour dans ma chambre, deux médecins s’avancent, porteurs du sérieux des révélations. «M. Gravet, les examens nous ont permis de découvrir la probabilité d’un cancer du côlon avec des polypes», annonce l’un d’eux, la voix posée, les mots choisis pour ne pas heurter. 

La question rituelle suit: «Avez-vous des questions?»

Mais face à l’incertitude, je choisis la confiance: «Occupez-vous de mon corps, je m’occupe de mon âme et de mon esprit.»

Michelle, toujours présente, intervient avec cette lucidité teintée d’espoir qui la caractérise: «Probabilité, reste probabilité. Il est probable qu’en sortant avec ma voiture, je rentre dans le mur d’en face. Cela reste probable.» Par ces mots, elle repousse l’ombre, rappelant que le destin, même lorsqu’il se teint d’aléatoire, n’est jamais scellé.

Le rendez-vous pour l’intervention chirurgicale est fixé. Je regagne la maison, le poids des nouvelles mêlé à l’apaisement de retrouver un espace familier. L’attente recommence, un entre-deux où la vie se conjugue au futur incertain ; chaque geste, chaque parole, chaque prière devient un acte de résistance et d’espérance, tissés ensemble pour accueillir la suite, sans se laisser submerger par la peur.

 

La veille de l’opération, j’observe les murs pâles de ma chambre, théâtre silencieux d’un ultime face-à-face avec l’inconnu. Le chirurgien entre, précis et calme, détaillant le scénario de l’intervention à venir. 

Déjà sur le seuil, il s’arrête, se tourne vers son assistante, une vive inquiétude perçant sa routine : « Est-ce que M. Gravet est passé par un I.R.M. ? » – « Non ! » La réponse fuse, sans détour. « Faites-le dès maintenant avant l’intervention, que je sois fixé. »

Je ne sais pas s’il détient l’identité de la bactérie. Le doute s’insinue, mais le flot des événements m’engloutit sans me laisser le temps d’enquêter. L’examen I.R.M. s’enchaîne, résonnant comme une parenthèse hors du temps. Puis la stupeur: à l’écran, la vésicule biliaire, organe modeste et oublié, a explosé. Un mois et demi s’est écoulé depuis ce dimanche soir à Fada N’Gourma, et voilà qu’un nouveau mystère s’impose.

L’intervention, que je croyais balisée, s’étirera deux heures de plus, s’ouvrant sur sept heures de bataille en salle d’opération. Quand l’analyse tombe enfin, elle porte le nom d’une adversaire redoutée des milieux médicaux : « la Klebsiella », surnommée « la tueuse ». Contractée au contact d’animaux ou, parfois, d’une simple poignée de main, elle se tapit d’abord dans les alvéoles pulmonaires, attendant l’instant de se jeter dans « la piscine » — la vessie — et de la faire éclater, entraînant la fin. Dans mon cas, la trajectoire dévie: c’est la vésicule biliaire qui a cédé sous l’assaut, éclatant en silence, repoussant l’échéance.

Entre le choc de la découverte et la tension de l’attente, je demeure suspendu dans cet entre-deux, témoin malgré moi d’une lutte à huis clos où chaque organe, chaque geste médical, devient l’acteur d’un drame intérieur. Mais dans ce chaos orchestré, l’espérance continue de tracer, fragile et tenace, sa route à travers l’incertitude.

Convoqué en consultation suite au prélèvement de vingt centimètres de côlon, le chirurgien nous fait entendre le résultat : pas de cancer du côlon.

La grâce de Dieu ne se mesure pas, son immensité nous enveloppe. L'éboulement de la mort ne put m'ensevelir. À travers les heures d’incertitude et le tumulte des diagnostics, c’est une force silencieuse, diffuse et indéfinissable, qui m’a maintenu sur la crête fragile du vivant. 

J’ai senti, au plus fort de la tourmente, qu’une main invisible empêchait la nuit de se refermer, repoussant le chaos au seuil de mon histoire. Dans le tremblement des jours et la lumière vacillante des lendemains, j’avance désormais avec la gratitude d’un rescapé, habité par la conscience aiguë de l’infini et du mystère. Chaque souffle, chaque matin, porte la trace de ce miracle discret, et je chemine, humble, sous la voûte vaste de la grâce inépuisable.

 

J’exprime ici à Mon Dieu, au Nom de Jésus-Christ, Seigneur de ma vie, ma prière de reconnaissance :

« Seigneur, dans le secret de cette traversée, je viens humblement déposer devant toi Mon Dieu ma reconnaissance. Au creux de la nuit, alors que la fragilité de mon corps se dévoilait sous les lumières crues de la médecine, ta présence, silencieuse mais palpable, a veillé sur moi.

Au Nom de Jésus-Christ, source de ma vie et de ma paix, je t’offre cette prière: merci pour la force insoupçonnée qui m’a soutenu lorsque tout vacillait, pour la lumière qui a percé le brouillard de l’incertitude, pour la main invisible qui a retenu l’éboulement et préservé ma vie.

Merci pour la tendresse de ceux qui m’entourent, la sagesse des soignants, et pour le souffle renouvelé qui m’est donné chaque matin. Que mon cœur demeure ouvert à la gratitude, que ma voix chante la fidélité de ta grâce, et que toutes mes pensées remontent vers toi, éternel refuge et espérance.

Dans la tempête et dans le silence, je reconnais l’œuvre de ton amour: elle me relève, elle m’épaule, elle m’appelle à vivre avec confiance et humilité. Reçois, Seigneur, cette offrande de louange; elle est le fruit de ma traversée, le témoignage de ta miséricorde, l’élan de ma foi renouvelée.

Amen. »

 

En Jésus,

Yves GRAVET

Pasteur-Missionnaire